Sénégal: L’arrestation de Pape Alé Niang est une violation des droits et libertés fondamentaux

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ARTICLE 19 condamne fermement l’arrestation le dimanche 6 novembre 2022 et la détention du journaliste d’investigation Pape Alé Niang, poursuivi pour, entre autres charges, avoir diffusé des informations à caractère militaire sans l’autorisation de la hiérarchie. ARTICLE 19 appelle les autorités sénégalaises à mettre fin à ces actes d’intimidation et de harcèlement à l’encontre des journalistes critiques à leur égard, à se conformer à leurs obligations internationales en matière de protection de la liberté d’expression et de la presse et à reconnaître le rôle vital que jouent les journalistes d’investigation dans le fonctionnement d’une presse de qualité, fondamentale à l’Etat démocratique.

Les accusations portées contre Pape Alé Niang comprennent des allégations selon lesquelles ses actions étaient susceptibles de porter atteinte à la sécurité et à la défense nationales, qu’il a commis des actes subversifs, que ces actes équivalaient à la propagation de fausses nouvelles et qu’il a reçu et diffusé illégalement des documents officiels qui étaient clairement marqués comme des informations classifiées. Les autorités ont cité les articles 60, 80 et 363 du Code pénal comme étant applicables dans son cas.

Après trois jours de garde à vue, le président du tribunal a placé Pape Alé Niang en détention provisoire. Suite à une rencontre avec ses avocats, la Coordination des Associations de la Presse a souligné que Pape Alé Niang n’a pas été entendu sur le rapport interne de la gendarmerie et les poursuites de l’Etat ne concerne pas en réalité les accusations pour lesquelles il a été arrêté.

« Ces actes d’intimidation et de harcèlement des voix critiques à l’égard du gouvernement doivent cesser. Au lieu d’arrêter et d’emprisonner le journaliste, les autorités devraient mener une enquête plus approfondie sur le contenu des documents en étudiant les faits graves qui y sont révélés. Il est regrettable de constater que la défense du secret est utilisée pour protéger certaines institutions publiques. La législation devrait mieux protéger les journalistes afin qu’ils puissent partager des informations d’intérêt du public », a déclaré David Diaz-Jogeix, Directeur des programmes sénior d’ARTICLE 19.

Si la protection des intérêts de la sécurité nationale est certainement un objectif légitime, en vertu du droit sénégalais, ce sont les fondements de la procédure qui sont sans doute les plus vulnérables aux abus. Comme l’a noté le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’expression A/HRC/23/40 (au paragraphe 60) : “L’utilisation d’une notion imprécise de sécurité nationale pour justifier des restrictions invasives à l’exercice des droits de l’homme soulève de vives inquiétudes. Cette notion, définie de manière schématique, est donc propice aux manipulations de l’État pour justifier des actions qui ciblent les groupes vulnérables tels que défenseurs des droits de l’homme, journalistes ou militants. Elle sert aussi à autoriser souvent inutilement le secret autour des enquêtes ou des activités de maintien de l’ordre, portant ainsi atteinte aux principes de transparence et de responsabilité.

En conséquence, le Principe XIII (2) de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression en Afrique prévoit que la liberté d’expression ne devrait pas être restreinte pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale, à moins qu’il n’existe un risque réel de menace imminente d’un intérêt légitime et un lien causal direct entre la menace et l’expression.

Comme le rappelle régulièrement ARTICLE 19, les limitations justifiables du droit à la liberté d’expression doivent répondre aux critères de légalité, de légitimité et de nécessité dans un but légitime, tels qu’énoncés à l’article 19 (3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

La jurisprudence au niveau africain nous a montré de nombreux cas où les tribunaux régionaux et sous-régionaux du continent ont rendu un certain nombre de décisions dans lesquelles les tribunaux ont appliqué le test en trois parties et ont finalement trouvé une limitation injustifiable du droit à la liberté d’expression. C’est le cas dans l’affaire Konaté c. Burkina Faso, dans laquelle la Cour africaine a jugé que le droit à la liberté d’expression prévu par l’article 9 de la Charte africaine était violé de manière injustifiée par certains aspects de la loi sur la diffamation criminelle, en particulier les dispositions qui imposaient une peine de prison.

Dans le cadre d’une initiative des organisations de médias du Sénégal, dont l’Association des Professionnels de la Presse En Ligne (APPEL) et la Coordinaton des Associations de la Presse (CAP), ARTICLE 19 a participé à une conférence de presse le 14 novembre 2022 avec d’autres organisations de la société civile pour demander la libération de Pape Alé Niang et la mise en place d’un plan d’action pour la libération de toutes les personnes arrêtées pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression et pour l’abrogation ou la modification des lois liberticides au Sénégal.

Pour plus d’informations, veuillez contacter :

Maateuw Mbaye, Assistant de programme, ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest Email : maateuwmbaye@article19.org   T : +221785958337

Aissata Diallo Dieng, Chef de bureau, ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest Email : senegal@article19.org  T:+221338690322