Sénégal: Analyse de quelques lois relatives à Internet

En octobre 2014, ARTICLE 19 a mené une analyse portant sur l’état des libertés relatives à Internet au Sénégal. L’examen a porté en particulier sur la conformité entre le cadre juridique sénégalais régissant Internet et les normes internationales et comparées du droit à la liberté d’expression et à la liberté d’information.

Cette analyse publiée le 12 mars 2015 contribue au débat en cours sur les réformes du cadre jurique de la liberté d’expression à l’ère du numéérique.

Dans cette analyse, ARTICLE 19 remarque un certain nombre d’aspects positifs dans le cadre juridique sénégalais relatif à Internet, notamment:

  • La reconnaissance dans un grand nombre de lois et décrets du droit à la liberté d’expression dans les technologies numériques;
  • L’absence générale d’obligation et de contraintes pour les prestataires de services d’Internet de surveiller les informations qu’ils transmettent ou d’identifier les activités illégales sauf sur injonction des autorités judiciaires;
  • Les propositions positives du Projet de Code de la presse, dont l’abandon des dispositions concernant les procédures de « notification-et-retrait » pour les hébergeurs de sites et l’adoption d’un système requérant une injonction judiciaire.

Cependant, un grand nombre d’éléments sont totalement incompatibles avec les normes internationales et susceptibles d’avoir un impact sérieux sur la liberté d’expression au Sénégal. La Loi sur la cybercriminalité est particulièrement préoccupante: elle impose un grand nombre de restrictions de contenus, qui sont formulées de manière imprécise et ont potentiellement une portée trop large. De même pour le Décret sur la cryptologie, qui impose l’obtention d’une autorisation avant de fournir, importer et exporter, et dans certains cas utiliser, des logiciels de cryptologie. Par ailleurs, le Projet de Code de la Presse, qui comprend néanmoins quelques changements positifs, restreint également la définition du journaliste, menaçant d’exclure la plupart des blogueurs et citoyens journalistes, et impose des peines excessives privatives de liberté pour des délits liés à la diffamation, la calomnie et l’insulte.

Résumé des recommandations

  • La diffamation doit être totalement dépénalisée, y compris en ce qui concerne les contenus en ligne. Les dispositions relatives aux sanctions pour insulte, calomnie, diffamation et autres délits similaires doivent également être supprimées.
  • La définition du journaliste (Article 168 du Projet de Code de la presse) doit être révisée et axée sur la fonction de l’individu et non sur une affiliation à un organe de presse;
  • Le système de notification-et-retrait (Article 3 de la Loi sur les transactions électroniques) doit être remplacé par un système requérant une injonction judiciaire pour le retrait de contenus, comme proposé à l’Article 163 du Projet de Code de la presse ;
  • Le système de notification-et-retrait proposé dans l’article 161 du Projet de Code de la presse relatif aux responsabilités des directeurs et co-directeurs de publication des services de presse en ligne doit être remplacé par un système d’avis-et-avis;
  • L’Article 431-7 de la Loi sur la cybercriminalité doit être amendé et inclure une catégorie plus large, notamment le genre, l’âge, les opinions politiques ou autres, les orientations sexuelles, l’identité sexuelle et le handicap;
  • Pour les délits d’incitation à la violence, à la discrimination et l’hostilité, il est nécessaire de rajouter une clause sur l’intention;
  • Le mot «promouvoir» doit être retiré de la définition des contenus racistes et xénophobes ;
  • Les Articles 431-60 et 431-61 doivent fournir une définition du terme «information secrète». En particulier, ils doivent faire la différence entre les diverses catégories d’information classifiée;
  • Les Articles 431-60 et 431-61 doivent être réécrits afin que tous les délits nécessitent une atteinte à la sécurité nationale et à la défense nationale;
  • Les Articles 431-60 et 431-61 de la Loi sur la cybercriminalité doivent inclure une défense expresse de l’intérêt public ;
  • L’Article 227 du Projet de Code de la presse permettant aux autorités de suspendre un organe de presse pour attaque contre « les bonnes mœurs » doit être supprimé ;
  • L’Article 159 § 5 du Projet de Code de la presse interdisant aux éditeurs de services de presse en ligne de publier des contenus susceptibles de présenter la violence sous un jour favorable doit être supprimé ;
  • La restriction de la libre utilisation de logiciels de cryptage pour ceux ayant des clés de moins de 128 bits dans l’Article 2 du Décret sur la cryptologie doit être supprimée. La libre utilisation des technologies de cryptage doit être élargie à tous les individus, et non exclusivement à ceux qui agissent à titre privé.