ARTICLE 19 est extrêmement préoccupée par la répression des manifestants et des journalistes en Gambie et demande une enquête immédiate sur l’usage excessif de la force contre une manifestation le 26 janvier 2020. La fermeture de deux stations de radio, l’arrestation des journalistes, l’interdiction du Mouvement « Three Years Jotna Jotna » et la répression des manifestants sont un rappel alarmant de 22 ans de répression en Gambie.
Fatou Jagne Senghore, Directrice régionale de ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest, a déclaré : « Nous demandons au Président d’ordonner une enquête indépendante sur ces incidents regrettables, afin de déterminer comment on en est arrivé à ces événements malheureux et éviter toute répression des manifestants et des médias dans le futur. »
“Les autorités doivent immédiatement relâcher tous les journalistes, ré-ouvrir les stations de radio et garantir aux médias qu’ils peuvent exercer leur travail en toute indépendance. En outre, elles doivent libérer tous les manifestants qui sont détenus pour la seule raison qu’ils ont exercé leur droit de manifester. Les forces de sécurité ont le mandat de protéger les journalistes et les manifestants.”
“Le gouvernement devrait en outre lever la suspension du Mouvement « Three Years Jotna » en vertu de la garantie constitutionnelle de la liberté d’association et d’expression.”
Le dimanche 26 janvier, le Mouvement « Three Years Jotna » (Trois ans c’est assez en Wolof, langue locale) a organisé une manifestation pacifique dans les rues de Banjul contre la décision du président Adama Barrow de conserver son mandat de cinq ans prévu par la constitution, en dépit de la promesse faite en 2017 de se retirer après trois ans et organiser des élections.
La marche, initialement autorisée mais interdite par la suite, s’est terminée lorsque les forces de sécurité ont fait usage des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants. En réponse, certains manifestants ont lancé des pierres sur les forces de sécurité. Des forces armées auraient été déployées pour réprimer les manifestants. Plusieurs sources ont rapporté qu’il y a eu une dizaine de personnes blessées, dont des journalistes.
Selon les médias, trois personnes auraient été tuées, allégations que les autorités ont vite démenties. Selon un communiqué du Gouvernement, 137 personnes ont été arrêtées, dont le dirigeant du Mouvement « Three Years Jotna Jotna », Abdou Njie, et le Mouvement a été frappé d’interdiction.
Fatou jagne a ajouté : “Les citoyens ont le droit de manifester et d’exprimer leur opinion librement, sans risque de faire l’objet d’une quelconque arrestation. Il est stupéfiant que les forces de sécurité aient choisi de recourir à la force sans raison apparente. Cela n’a fait qu’accroître les tensions et pourrait entraîner de nouvelles violations des droits de l’homme”.
Le gouvernement a également suspendu deux stations de radio, Home Digital FM basée à Brikama et King FM basée à Tallinding Kunjang, et a arrêté quatre journalistes, dont le Directeur de Home Digital FM, Pa Modou Bojang, et le Directeur de King FM, Gibbi Jallow. La police enquêterait sur des allégations d’incitation à la violence et à la peur.
La Constitution Gambienne et le droit à la liberté d’expression
Depuis 2017, la Gambie a fait des progrès significatifs en matière de protection des droits de l’homme, et il est impératif que ces progrès soient sauvegardés. La Constitution gambienne garantit le droit de manifester et la liberté de parole, d’expression et d’association. Elle garantit également la liberté et l’indépendance des médias. En outre, la Gambie a explicitement accepté des obligations en matière de droits de l’homme par le biais des traités internationaux et régionaux qu’elle a signés, tels que la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques. Les autorités ont le devoir absolu de garantir et de protéger les rassemblements pacifiques. Elles ne peuvent restreindre le droit de manifester que si cela est strictement nécessaire et proportionné à la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé publique et des droits d’autrui. Toute restriction imposée qui ne répond pas à tous les éléments de légalité, de proportionnalité et de nécessité constitue une violation du droit de manifester.
Le travail des responsables commis à l’application de la loi au cours des manifestations est de veiller à la sécurité du grand public et de respecter les droits de l’homme de toutes les personnes. La police doit faciliter les rassemblements pacifiques et protéger ceux qui veulent exercer leur droit de manifester. La police devrait être guidée par la présomption du caractère pacifique, plutôt que de supposer qu’il y aura des violences et de recourir à la force. En outre, ils ne peuvent recourir à la force que dans des circonstances extraordinaires, lorsque cela est strictement requis, au prorata de la menace des violences et exclusivement contre des manifestants violents. En principe, les forces armées militaires ne doivent pas être déployées pour assurer la surveillance des manifestations. Les gaz lacrymogènes ne peuvent être utilisés pour disperser une foule qu’en cas de violence plus généralisée, en raison de leurs effets incontrôlés et de leur fort potentiel de nuisance.