Conformément aux dispositions de l’Article 62 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), la République du Togo a présenté ses 6ème, 7ème et 8ème rapports périodiques combinés de 2011 à 2016, lors de la 63ème Session de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, tenue du 24 octobre au 1er novembre 2018 à Banjul, en Gambie. Au cours de la Session ordinaire, ARTICLE 19 a également soumis un rapport alternatif sur la situation des droits de l’homme au Togo, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression et l’accès à l’information.
Le rapport alternatif était un appel à la CADHP pour qu’elle se penche sur les questions cruciales des droits de l’homme qui affectent la liberté d’expression et l’accès à l’information, y compris l’environnement de travail des défenseurs des droits de l’homme au Togo. ARTICLE 19 a soulevé des préoccupations quant aux restrictions continues à la liberté d’expression, aussi bien en ligne qu’hors ligne, aux fréquentes coupures d’Internet, à la violation des libertés des médias, telle que la décision de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) de retirer les fréquences de la Station radio City FM et la télévision La Chaîne du Futur (LCF). Également préoccupé par l’indépendance de la HAAC et le rétrécissement de l’espace civique et de l’environnement de travail des défenseurs des droits de l’homme, conduisant à des arrestations et à des détentions ; par exemple celle de Assiba Johnson, Président du Regroupement des Jeunes Africains pour la Démocratie et le Développement (REJADD), accusé de diffamation et de diffusion de fausses nouvelles.
Le Ministre de la Justice et des Relations avec les Institutions de la République, Agbetomey Kokouvi Pius, qui a dirigé la délégation Togolaise composée de 08 membres, a réitéré l’engagement du Gouvernement à protéger et à mettre en œuvre les dispositions spécifiées dans la Charte et le Protocole de Maputo.
La CADHP s’est félicitée des mesures prises par le Gouvernement Togolais pour mettre en œuvre les dispositions de la Charte. Parmi les principaux développements positifs intervenus, on compte, entre autres, la participation inclusive des Organisations de la Société Civile (OSC) à la rédaction du rapport, la promulgation de la Loi n° 2016-006 sur le libre accès à l’information et aux documents publics et de la Loi n° 2013-010 sur l’Assistance judiciaire.
La Commission Africaine était toutefois préoccupée par le non-respect, par le Togo, du droit à la liberté d’expression et à l’accès à l’information, garanti par les instruments régionaux et internationaux qu’il a ratifiés. La Commission a notamment noté que les lois discriminatoires ne devaient pas entraver la liberté d’expression. Le nouveau Code pénal révisé de 2015, qui augmentait le nombre d’infractions liées à la liberté d’expression et prévoyait des sanctions plus lourdes, a suscité des préoccupations. Par exemple, il criminalise la diffamation, avec une peine d’emprisonnement de quatre ans et les chants séditieux dans les lieux ou réunion publics, avec une peine d’emprisonnement de deux mois. La coupure de l’Internet au Togo a également suscité de vives préoccupations. Le Commissaire Lawrence Mute, Rapporteur spécial sur la Liberté d’expression et l’Accès à l’information, a déclaré que « les États utilisent un marteau pour tuer un moustique et coupé l’Internet; rendre impossible la communication entre les citoyens est inacceptable ». L’ordonnance rendue par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et des Communications (HAAC) visant à retirer la fréquence de la station radio City FM, la télévision La Chaîne du Futur, et l’indépendance de l’organe de régulation (HAAC), ont également suscité des préoccupations.
En ce qui concerne l’accès à l’information, la Commission était préoccupée par la mise en œuvre effective de la nouvelle Loi, notamment les mesures prises pour veiller à ce qu’une culture du secret, qui oblige les agents publics à prêter un serment de discrétion, ne les empêche pas de fournir des informations au public.
S’agissant de la liberté d’association, de nombreuses préoccupations ont été soulevées concernant l’environnement de travail restrictif des Défenseurs des Droits de l’Homme (DDH) et le refus du Gouvernement d’accréditer certaines associations. Le Gouvernement a été invité à fournir des informations sur la situation et sur l’affaire d’Isah Kokodoge et d’Assiba Johnson, qui ont été arrêtés pour avoir, respectivement, pris part à une manifestation et diffusé des « fausses nouvelles ».
Lors de l’examen du rapport de l’État, la Commission Africaine a exhorté le Gouvernement Togolais à rouvrir City FM et la télévision La Chaîne du Futur. Le Rapporteur spécial sur les DDH a déclaré : « Votre excuse des maisons de presse qui ne respectent pas les procédures légales est le motif dans tous les pays Africains. Il est inconcevable d’ouvrir une chaîne de télévision et de la fermer plus tard ». Concernant la coupure de l’Internet, la Commission a noté qu’elle est contraire au Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC), qui permet aux populations de bénéficier des services de TIC que le Togo doit mettre en place. Le Gouvernement a également été invité à créer un environnement favorable aux DDH, notant que les fonctionnaires sont les premiers DDH.
Le Gouvernement Togolais a justifié certaines de ses actions et les lacunes de sa législation, mais a globalement accepté les recommandations de la CADHP et s’est déclaré prêt à coopérer à la mise en œuvre.
« Après un dialogue si important, il est important que le Gouvernement reconnaisse ses lacunes et s’engage à les corriger. La CADHP doit saisir l’occasion, avant la prochaine élection présidentielle, pour aider le Togo à se conformer davantage à la Charte », a déclaré Fatou Jagne Senghor, Directrice régionale d’ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest.