Mali :  Lever la suspension de Joliba TV  

ARTICLE 19 est profondément préoccupée par la décision de la Haute Autorité de la Communication (HAC) du Mali de suspendre la licence de la chaîne privée Joliba TV à compter du 26 novembre 2024. Cette mesure fait suite à une plainte déposée par le Conseil Supérieur de la Communication (CSC) du Burkina Faso le 12 novembre, qui reproche à Joliba TV la diffusion de propos critiques à l’égard des autorités burkinabè lors de l’émission « Le rendez-vous des idées ».  

La plainte intervient à la suite des déclarations faites par M. Issa Kaou N’Djim, une personnalité politique malienne, lors de l’émission « Le rendez-vous des idées » diffusée le 10 novembre dernier. Il aurait émis des propos critiques sur la gestion par le Burkina Faso d’une tentative de coup d’État, la qualifiant de « mise en scène peu professionnelle » et accusant les autorités burkinabè de vouloir « détourner l’attention des véritables enjeux ». En réaction, M. Issa Kaou N’Djim a été placé sous mandat de dépôt le 13 novembre pour « offense publique envers un chef d’État étranger », et son procès est prévu pour le 23 décembre 2024.  

Alfred Nkuru Bulakali, directeur régional d’ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest, a déclaré : “L’autorité de régulation du Mali devrait annuler la décision de retrait de la licence de Joliba TV. Suspendre la licence et tenir la chaîne pour responsable d’une déclaration critique faite par un invité lors d’une émission en direct, est une sanction disproportionnée qui crée un précédent dangereux pour la liberté des médias. Avec cette sanction, la Haute Autorité de la Communication envoie un message dissuasif aux médias et au public, qui peut conduire à l’autocensure et à la réduction au silence des voix critiques.   

“Une presse libre et indépendante est essentielle au fonctionnement de l’État de droit, à l’éducation civique, à la gouvernance participative et à la cohésion sociale. La levée de l’interdiction contribuerait à instaurer un dialogue avec les médias, à préserver la liberté d’expression et le droit à l’information, et renforcerait l’engagement du Mali à respecter les normes internationales en matière de liberté d’expression et de liberté de la presse, qui sont également garanties par la culture et les lois maliennes.” 

La Constitution malienne garantit explicitement la liberté d’expression et la liberté de la presse dans les articles 14 et 15 respectivement. Ces droits sont également consacrés par la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique et par la Déclaration Windhoek+30. Ces deux déclarations soulignent l’impératif de préserver l’indépendance des médias et stipulent que toute sanction visant les activités des médias doit respecter des normes strictes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. En outre, l’Observation générale n° 34 du Comité des droits de l’homme des Nations unies sur l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) affirme que le droit à la liberté d’expression englobe le discours politique, les commentaires sur les affaires publiques, la défense des droits de l’homme, le journalisme, ainsi que l’expression susceptible d’offenser ou de déranger certains publics.  

ARTICLE 19 appelle la HAC à reconsidérer sa décision de suspendre Joliba TV et à s’assurer que toutes les mesures réglementaires sont conformes aux obligations internationales du Mali en matière de droits de l’homme. Nous appelons également les autorités maliennes à prendre les mesures nécessaires pour préserver la liberté de la presse et créer un environnement propice à un journalisme pluraliste et indépendant, conformément à leurs obligations internationales, y compris les recommandations acceptées du quatrième cycle de l’Examen périodique universel (EPU) en 2023 et les normes applicables de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), dont le Mali est un membre actif »,  

Le lundi 26 novembre, une délégation de la Maison de la Presse a rencontré les responsables de la HAC pour plaider en faveur de la levée de la suspension. ARTICLE 19 salue cette initiative et appelle à une résolution rapide et concertée qui permettrait à Joliba TV de poursuivre ses activités. Nous appelons également à des mesures consultatives continues pour protéger les médias et sauvegarder le rôle crucial qu’ils jouent en informant le public sur les questions d’intérêt public.   

 Contexte  

Depuis août 2020, le Mali est sous la coupe de l’armée, à la suite d’un coup d’État au cours duquel le colonel Assimi Goita a assumé le rôle de chef de l’État. Ce coup d’État, le cinquième depuis l’indépendance du pays, associé à la crise sécuritaire qui s’aggrave depuis 2012, a eu un effet déplorable sur le respect des droits de l’homme et des valeurs démocratiques dans le pays. La crise actuelle a été marquée par de nombreuses menaces à la sécurité des journalistes et à la liberté des médias, les journalistes ayant été pris pour cible ou enlevés par les groupes armés.   

Parallèlement, les autorités publiques ont introduit des mesures sévères qui affectent la liberté des médias de rendre compte des questions de sécurité et d’autres sujets pertinents – y compris la fermeture et la suspension de certains médias internationaux. Le 24 août 2024, la HAC a suspendu la chaîne française La Chaîne Info pour deux mois, citant des allégations de diffamation et d’incitation au terrorisme, liées à une émission sur les activités du groupe Wagner au Mali, diffusée le 27 juillet. En janvier 2024, la chaîne de télévision France 2 a été suspendue pour 4 mois. En 2022, les autorités ont suspendu France 24 et RFI, accusées de diffuser de « fausses nouvelles » dans leurs reportages sur les violations présumées des droits de l’homme par les forces armées maliennes et les milices. 

Pour plus d’informations, veuillez nous contacter :   

ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest Maateuw Mbaye, Chargée de la protection et de l’espace civique E : maateuw.mbaye@article19.org ; Mob : + 221785958337  

Ligne de bureau : +221338690322 E : senegal.westafrica@article19.org