
ARTICLE 19 salue la libération du journaliste et militant El Bachir Thiam, intervenue le 25 septembre 2025. El Bachir Thiam avait été enlevé par des individus non identifiés le 8 mai 2025 à Kati, près de Bamako, suscitant de vives inquiétudes quant à sa sécurité.
Maintenant qu’il est libre, nous appelons les autorités maliennes à faire de cette libération une première étape vers la garantie de la sécurité de tous les journalistes, la restauration d’un climat de confiance, l’ouverture de l’espace civique et le respect des principes démocratiques au Mali.
La libération d’El Bachir Thiam constitue un signe encourageant, illustrant l’engagement du Mali à honorer ses obligations en matière de sécurité physique des citoyens et de respect des droits humains dans la lutte contre le terrorisme et la gestion de la crise sécuritaire.
« Nous appelons à des efforts soutenus pour que toutes les personnes détenues au secret ou victimes de disparition forcée dans le contexte de la crise sécuritaire soient libérées, conformément au droit international des droits humains », a déclaré Alfred Nkuru Bulakali, Directeur régional d’ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest.
ARTICLE 19 rappelle que les articles 2, 4, 14 et 15 de la Constitution malienne garantissent le caractère sacré de la personne humaine, l’interdiction de la torture, le respect des libertés fondamentales et la liberté de la presse.
De même, les articles 4 et 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) protègent toute personne contre l’arrestation et la détention arbitraires, tandis que les articles 9, 10 et 11 consacrent les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique.
En tant qu’État partie à ces instruments, le Mali a l’obligation positive de prévenir, d’enquêter et de sanctionner toute disparition forcée ou détention illégale, y compris celles commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou des crises sécuritaires.
Dans le cas d’El Bachir, la responsabilité de sa disparition n’a pas encore été établie par une instance compétente. Les autorités maliennes doivent clarifier les circonstances de l’enlèvement et traduire les responsables en justice.
Depuis sa disparition le 8 mai 2025, la famille d’El Bachir n’avait ni accès à lui ni reçu d’informations sur son lieu de détention. Selon le droit international, des informations précises sur la détention de toute personne privée de liberté, y compris son lieu de détention, doivent être rapidement communiquées aux proches et à toute personne ayant un intérêt légitime, comme le stipulent les articles 17 et 18 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
La détention secrète ou au secret peut constituer une disparition forcée lorsque les proches ou les personnes ayant un intérêt légitime n’ont pas accès aux informations sur le lieu où se trouve la personne disparue ou ne peuvent vérifier les informations fournies, conformément à l’article 66 de la CADHP, aux Principes et directives sur les droits de l’homme et des peuples dans la lutte contre le terrorisme en Afrique et à l’étude conjointe du Conseil des droits de l’homme sur les pratiques mondiales relatives à la détention secrète dans le contexte de la lutte antiterroriste (A/HRC/13/42).
Une disparition forcée survient lorsqu’une personne est privée de liberté sans reconnaissance officielle, la soustrayant ainsi à la protection de la loi – même pour une courte durée. ARTICLE 19 souligne que la disparition forcée implique la violation de nombreux droits, dont le droit à la liberté et à la sécurité physique, le droit à la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information. Cela est particulièrement grave lorsqu’il s’agit de journalistes, de défenseurs des droits humains et d’acteurs civiques.
Selon le Conseil des droits de l’homme, lorsqu’une personne est victime de disparition forcée pour avoir exercé ou défendu les droits à l’information, à la liberté d’opinion ou d’expression, ou à la liberté d’association ou de réunion, la jouissance de ses droits est également violée.
En tant qu’État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et à la CADHP, le Mali doit continuer à prendre des mesures supplémentaires pour mettre en œuvre leurs dispositions, ainsi que les principes et recommandations connexes, afin de prévenir et de traiter les disparitions forcées dans le pays.
Nous appelons à la protection et à la sécurité d’El Bachir, ainsi qu’à un soutien pour lui permettre de reprendre son travail journalistique et d’exercer ses droits à la liberté d’association et de réunion sans crainte de répression.
Tout en saluant les signaux positifs envoyés par la libération d’El Bachir, nous formulons les recommandations suivantes à l’attention des autorités maliennes :
- Garantir la sécurité des journalistes afin qu’ils puissent exercer leur devoir d’informer sans crainte ;
- Mener une enquête rapide, indépendante, efficace et impartiale sur les conditions de l’enlèvement et de la détention d’El Bachir Thiam ;
- À l’issue de l’enquête, traduire en justice tous les auteurs, quel que soit leur rang ou statut, dans le cadre de procédures judiciaires équitables et compétentes ;
- Assurer à Thiam et à sa famille le droit à la vérité sur les circonstances de sa disparition forcée, ainsi que leur accorder des réparations adéquates, y compris une indemnisation et une protection contre toute intimidation future ;
- Veiller au strict respect des libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression et d’association, telles que garanties par le droit international des droits humains.
Contexte
Le 7 mai 2025, El Bachir Thiam, journaliste et militant politique du parti Yelema (dissous en 2024), a publiquement critiqué la « transition sans fin » au Mali. Il a été enlevé le lendemain par des individus non identifiés et détenu dans un lieu secret pendant plus de quatre mois.
Le 9 septembre 2025, des experts des Nations Unies ont exigé sa libération immédiate et inconditionnelle, qualifiant sa disparition de violation flagrante des obligations internationales du Mali.
L’enlèvement d’El Bachir n’est pas un cas isolé. Le 19 mai 2025, Sidi Barka, président d’une organisation de la société civile à Ménaka et fervent défenseur des droits humains, a été enlevé par des hommes armés. Il a été exécuté le 20 août 2025 avec d’autres personnes, dont Ahmadou Ag Mahamad, un berger touareg, deux citoyens arabes, un musicien et plusieurs habitants de la région. Le 2 octobre 2025, l’ancien député Abdoul Galil Haidara, promoteur de Ségou-TV, a été tué par des terroristes sur la route Tigui-Konobougou. Son véhicule a été criblé de balles à bout portant alors qu’il tentait un dépassement, le tuant sur le coup. Le 3 octobre 2025, Siaka Dembelé, président du Conseil régional de Ségou, et son chauffeur ont été enlevés par un groupe armé sur la route Bamako-Ségou.
Il est clair que les citoyens maliens continuent de faire face à des menaces et des attaques en raison de leur engagement dans la vie publique et politique, de leur opposition aux exactions des groupes armés opérant dans le pays et de l’insécurité qui en découle – qu’ils appartiennent à l’administration publique, à la société civile ou à des organisations politiques.