ARTICLE 19, African Centre for Media and Information Literacy (AFRICMIL), Rule of Law and Accountability Advocacy Centre (RULAAC) et Human and Environmental Development Agenda (HEDA Resource Centre) invitent les autorités nigérianes à œuvrer en faveur de la liberté d’expression et de réunion et à mettre fin aux arrestations de personnes pour avoir exprimé leurs opinions. Les autorités nigérianes devraient libérer dans les plus brefs délais toute personne détenue pour avoir simplement exercé son droit à la liberté d’expression et abroger toute législation non conforme aux obligations internationales en matière de droits de l’homme.
“Manifester est un droit. En effet, la Constitution nigériane garantit explicitement les droits à la liberté d’expression et de réunion. Il est inadmissible de voir les forces de sécurité nigérianes arrêter quiconque exprime une opinion critique à l’égard du gouvernement. La pratique des arrestations massives de manifestants s’est développée au cours de cette dernière semaine”, a déclaré Fatou Senghore, Directrice Régionale de ARTICLE 19 Sénégal et Afrique de l’Ouest.
Des douzaines de personnes qui revendiquaient une bonne gouvernance de la part des autorités nigérianes ont été arrêtées le 5 août à Abuja, Lagos, Abeokuta, Kano, Calabar et Osogbo dans le cadre des manifestations du mouvement #RevolutionNow. Pour disperser ces manifestations, en grande partie pacifiques, la police a fait usage de gaz lacrymogènes. Les manifestants ont été libérés le lendemain, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. En dépit de leur libération, la lumière n’a pas été faite sur l’usage excessif de la force contre ces manifestants et les allégations de traitements dégradants dont auraient été victimes certains d’entre eux. Par ailleurs, le militant Usman Zush est resté en détention durant 7 jours sans avoir droit à un procès. La police l’accusait d’usurpation d’identité, prétendant qu’il l’avait trouvé en possession de deux cartes d’identité. Cependant, un avocat très proche de l’affaire, a déclaré sous le couvert de l’anonymat que Usman avait été arrêté uniquement en relation avec la manifestation “Revolution Now” et que l’usurpation d’identité était destinée à étouffer l’affaire.
Trois jours plus tard, dans le sud de l’État de Kaduna, le 8 août, des citoyens ont été arrêtés lors de manifestations contre l’insécurité croissante dans l’État.
“La répression des manifestants et l’impunité doivent cesser. Les auteurs des présumées violations cruelles doivent être identifiés et punis. Il incombe au gouvernement nigérian d’enquêter et de faire respecter la loi”, a déclaré Olanrewaju Suraju, Président de HEDA.
Dans le contexte de la détérioration de cet espace civique, ARTICLE 19, AFRICMIL, RULAAC et HEDA restent également très préoccupés par les récentes arrestations et décisions judiciaires pour blasphème.
Un tribunal religieux de l’État de Kano a condamné à mort le 10 août 2020 le chanteur Sharif pour blasphème. Il a été accusé de blasphème contre le prophète Mouhamed dans une chanson qu’il a fait circuler par le biais de WhatsApp en mars 2020.
Par ailleurs, le 28 avril, le président de l’association humaniste nigériane a été arrêté à Kaduna pour avoir insulté le prophète Mouhamed sur sa page Facebook un jour plus tôt. Ce dernier n’aurait toujours pas été inculpé et serait détenu au secret dans l’État de Kano. Il risque une condamnation à mort comme Sharif.
“Il est scandaleux que la publication d’une chanson sur WhatsApp soit passible de la peine de mort, quand bien même elle est jugée injurieuse. Les autorités nigérianes doivent protéger la liberté d’expression en ligne et hors ligne, conformément à leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme. La peine de mort ne peut être prononcée sans violer le droit à la vie garanti à tous les Nigérians. Une telle décision n’aurait jamais dû être prise. La peine de mort doit être abolie sans condition“, a ajouté Okechukwu Nwaguma, le directeur exécutif de RULAAC.
“Nous invitons vivement les autorités nigérianes à libérer toutes les personnes qui sont actuellement détenues dans tout le pays uniquement pour avoir exprimé leurs opinions. De plus, le Nigeria devrait veiller à ce que ses lois favorisent un cadre d’épanouissement de la liberté d’expression”, a insisté Chido Onuma, le président de l’AFRICMIL.
Cadre juridique de la liberté d’expression et de réunion
Sont contraires aux normes internationales en matière de droits de l’homme toutes lois qui visent à interdire la discussion et le débat sur la religion. A titre d’exemple, les lois sur le blasphème, l’insulte religieuse et la diffamation de la religion violent plusieurs dispositions juridiquement contraignantes sur la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de pensée, de conscience et de religion, l’égalité et l’absence de discrimination. Le Nigeria devrait abroger ces lois pour se conformer aux obligations internationales en matière de droits de l’homme.
Bien que le droit à la liberté d’expression en vertu du droit international ne soit pas absolu, les restrictions ne sont autorisées que dans certaines circonstances étroitement définies et doivent être prévues par la loi, servir un objectif légitime et être nécessaires à cette fin.
Les traités sur les droits de l’homme protègent les droits des personnes individuellement et, dans certains cas, des groupes, mais pas des entités abstraites telles que les valeurs, les religions, les croyances, les idées ou les symboles. Ces traités ne permettent pas de restreindre l’exercice du droit à la liberté d’expression dans le but d’assurer le respect des “dogmes ou cultes de toute communauté religieuse existant légalement” ou de les protéger contre le ridicule ou les abus.
Dans son observation générale n°34 de 2011, le Comité des droits de l’homme a affirmé que “Les restrictions concernant les atteintes à une religion ou à un autre système de croyances, y compris les lois sur le blasphème, sont incompatibles avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, sauf dans les circonstances particulières prévues au paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte”.
Les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de religion ou de conviction et le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée ont condamné à plusieurs reprises les lois interdisant la “diffamation des religions” et/ou le blasphème parce qu’elles sont utilisées pour persécuter les minorités religieuses et les opposants.
Selon le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’expression et d’opinion, les restrictions du droit à la liberté d’expression ont été “conçues pour protéger les individus contre les violations directes de leurs droits” et “ne sont pas destinées à protéger les systèmes de croyances contre les critiques externes ou internes”.
Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression, le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, le rapporteur spécial de l’OEA sur la liberté d’expression et le rapporteur spécial de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la liberté d’expression et l’accès à l’information ont souligné, dans une déclaration conjointe du 10 décembre 2008, que les restrictions à la liberté d’expression visant à prévenir l’intolérance devraient être limitées à la propagande de la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.
Les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique soulignent que la protestation est un droit. Les lignes directrices de la Commission africaine sur le contrôle des rassemblements par les forces de l’ordre en Afrique définissent les principes que les forces de sécurité doivent suivre lors des manifestations. Elles définissent le rôle principal des forces de l’ordre pendant les manifestations “pour assurer la sécurité publique et sauvegarder les droits de l’homme de toutes les personnes”.
La dispersion d’une manifestation ne doit être utilisée qu’en dernier recours et dans des circonstances exceptionnelles ; la force ne doit jamais être utilisée pour disperser une manifestation pacifique. La police devrait donner la priorité au dialogue et éviter l’usage de la force, même si la manifestation est considérée comme illégale. L’arrestation ou la détention est arbitraire si elle a lieu en réponse à l’exercice des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
En 2018, lors de la dernière session de l’EPU, le Nigeria a déclaré qu’il était l’un des “pays les plus accueillants pour la presse et toutes les organisations soucieuses de respecter la vérité et l’impartialité”. Il a accepté les recommandations visant à protéger et à promouvoir la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique “afin de créer un cadre stable et favorable pour les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes et la société civile”. Cependant, le Nigeria a pris note des recommandations visant à abolir la peine de mort, malgré cela les condamnations à mort persistent. En effet, depuis 2010, le Nigéria s’est abstenu de tout vote sur les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies relatives à l’application de la peine de mort.
Aujourd’hui, plus de 2700 personnes sont dans le couloir de la mort au Nigeria.
Cette peine est le châtiment cruel, inhumain et dégradant absolu et constitue une violation du droit à la vie. Le Second protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, stipule dans son préambule que “l’abolition de la peine de mort participe au relèvement de la dignité humaine et au développement progressiste des droits de l’homme.”
Nous invitons le gouvernement nigérian à :
- Libérer toutes les personnes qui sont en détention uniquement pour avoir exprimé leur opinion ;
- Enquêter sur les violations des droits à la liberté d’expression, à la liberté des médias et à la liberté de réunion, de traduire en justice toutes les personnes suspectées de ces atteintes aux droits de l’homme ;
- Prendre toutes les mesures juridiques nécessaires pour créer un espace civique favorable et protéger la liberté des médias, la liberté d’opinion, de croyance et de réunion. L’exercice des libertés d’expression, d’information, de croyance et de réunion ne doit jamais être criminalisé, ni réprimé ;
- Établir un moratoire sur la peine de mort en vue de son abolition, commuer toutes les condamnations à mort en peines de prison et ratifier le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.
Signature:
- Fatou Jagne Senghore, Directrice Régionale ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest
- Chido Onumah, PhD, Coordinateur, African Centre for Media & Information Literacy (AFRICMIL)
- Okechukwu Nwaguma, Directeur Exécutif de RULAAC
- Olanrewaju Suraju, Président de HEDA Resource Center