ARTICLE 19 appelle à des réformes urgentes pour mettre fin à la répression des médias au Sénégal

En cette Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes, ARTICLE 19 exhorte à la justice et à des réformes urgentes pour protéger celles et ceux qui informent le public. L’impunité pour les attaques contre les journalistes ne constitue pas seulement une faillite du droit, elle représente une défaillance de la démocratie.

« L’impunité pour les crimes commis contre les journalistes est une plaie béante dans nos démocraties. Chaque attaque impunie envoie un message glaçant : la vérité peut être réduite au silence. Dans de nombreux pays, les lois sur la désinformation sont instrumentalisées pour réprimer les journalistes, aggravant les violences physiques, psychologiques et sexistes qu’ils subissent déjà, notamment en période de troubles politiques et en raison de leurs prises de position critiques. Il est temps que les gouvernements d’Afrique de l’Ouest et du Sahel rompent ce cycle, non seulement en poursuivant les auteurs d’agressions contre les journalistes, mais aussi en supprimant les cadres juridiques qui permettent le harcèlement et la censure. La liberté de la presse n’est pas négociable ; elle est le socle de la justice, de la redevabilité et du droit du public à l’information. » Alfred Bulakali, Directeur régional, ARTICLE 19 Sénégal et Afrique de l’Ouest

« En tant que pays attaché à la démocratie et à l’État de droit, le Sénégal, comme d’autres démocraties, devrait aller plus loin en abrogeant les lois liberticides, notamment celles qui criminalisent la diffamation, les fausses nouvelles et les délits de presse, afin de mettre fin à toute forme de harcèlement juridique contre les journalistes. À la place, ces États devraient intégrer dans leur législation les directives des Nations Unies sur la sécurité des journalistes. » ajouta Alfred Bulakali

Le Sénégal a accompli des avancées encourageantes, notamment l’adoption d’une loi sur l’accès à l’information, le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte et la création de l’Observatoire national des médias. Ces réformes sont significatives. Toutefois, elles coexistent avec des pratiques restrictives, des suspensions arbitraires de médias et des poursuites fondées sur des lois obsolètes relatives à la diffamation et aux « fausses nouvelles ». Ces mesures musèlent les voix critiques et sapent la confiance du public.

Dans notre analyse « De la restriction à la réforme : une feuille de route pour la liberté des médias au Sénégal », nous appelons les autorités à transformer les avancées récentes en réformes structurelles, notamment :

  • Réformer ou abroger le Code de la presse afin de protéger toutes les personnes exerçant une activité journalistique, y compris les journalistes indépendants, les blogueurs et les défenseurs des droits humains ;
  • Décriminaliser la diffamation, les injures et la diffusion de « fausses informations », des infractions utilisées pour intimider journalistes et activistes ;
  • Mettre fin aux suspensions arbitraires de médias et promouvoir un système de régulation indépendant conforme aux normes internationales.

« Le moment est venu de tourner la page des restrictions et d’ouvrir une ère de réformes ambitieuses. Protéger la liberté de la presse, c’est protéger la démocratie sénégalaise. En franchissant ces étapes supplémentaires, le Sénégal créera non seulement les conditions d’un secteur médiatique florissant, mais renforcera également sa position de bastion de l’État de droit, de la culture démocratique et de la liberté de la presse dans la région, avec un effet d’influence sur d’autres nations en développement du continent » conclut Alfred Bulakali

Le Sénégal a longtemps été salué comme un leader régional en matière de liberté de la presse, avec des garanties constitutionnelles soutenant une presse diverse et indépendante. Pourtant, depuis 2021, le pays connaît une recrudescence des mesures répressives : les journalistes sont de plus en plus arrêtés et poursuivis sur la base de lois vagues sur la diffamation et les « fausses nouvelles » ; des centaines de médias ont été suspendus ; et les coupures d’Internet lors de troubles politiques ont gravement entravé l’accès à l’information. La couverture d’événements politiques tendus, tels que les manifestations, a entraîné des agressions physiques contre certains journalistes, sans que les responsables ne soient inquiétés ni que les victimes ne reçoivent réparation.

ARTICLE 19 s’inquiète de ce recul qui menace d’anéantir des décennies de progrès, à un moment où le débat public ouvert est plus que jamais nécessaire. L’urgence des réformes est renforcée par les récents développements politiques au Sénégal, notamment l’élection du Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye en 2024 et son programme politique axé sur la transparence et la gouvernance ouverte, ainsi que les engagements pris par le gouvernement lors de l’Examen Périodique Universel (EPU) pour aligner la législation nationale sur les normes internationales des droits humains.

ARTICLE 19 réaffirme son engagement à accompagner le gouvernement sénégalais, la société civile et les acteurs des médias dans la mise en œuvre de ces réformes, afin de garantir le droit à la liberté d’expression pour tous les citoyens, créer les conditions d’un secteur médiatique dynamique, renforcer la démocratie et soutenir le développement.

L’analyse complète est disponible ICI


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