NIGER: Libérer sans condition la journaliste et blogueuse Samira Sabou

ARTICLE 19 demande aux autorités nigériennes de libérer immédiatement et sans condition la journaliste et blogueuse Samira Sabou, qui a été arrêtée et placée en détention depuis plus d’un mois. Les autorités nigériennes se servent de plus en plus des dispositions répressives de la loi sur la cybercriminalité pour poursuivre des journalistes et contourner le régime de la presse qui, en fait, les protège contre des accusations criminelles pour des délits de presse, y compris la diffamation.

Il est totalement inadmissible mettre les journalistes en prison pour avoir fait leur travail. Les peines privatives de liberté pour les délits de presse sont une atteinte grave à la liberté de la presse et au droit des personnes à l’information, y compris en ligne. Il est impératif que Samira Sabou soit libérée sans condition et toute procédure pénale à son encontre doit être abandonnée“, a déclaré Fatou Jagne Senghore, Directrice Régionale de ARTICLE 19 en Afrique de l’Ouest.

Samira Sabou a été arrêtée et accusée de “diffamation par voie électronique” le 10 juin dernier en vertu de l’article 29 de la loi nigérienne sur la cybercriminalité . La plainte pour diffamation aurait été formulée par Sani Issoufou Mahamadou, le fils du Président nigérien et Directeur adjoint de son cabinet.

Après plus d’un mois de détention, Samira a comparu dans un procès public devant un tribunal de Niamey le 14 juillet 2020. Le verdict sera rendu par le juge le 28 juillet 2020. Selon des sources judiciaires et de la presse locale, le procureur aurait requis une peine de prison d’un mois et une semaine et une amende d’un million de francs CFA [environ 1 500 euros].

Son arrestation a fait suite à la publication sur sa page Facebook, le 26 mai d’un message faisant état des détournements de fonds révélés par un rapport d’audit au sein du ministère de la défense dans un marché pour acquisition de matériel militaire. Samira Sabou n’a mentionné aucun nom dans son post.

Il faut savoir que l’arrestation de Samira Sabou pour avoir posté un article sur cette affaire n’est pas un cas isolé. Le 12 juillet, le rédacteur en chef du Journal Courrier, Ali Soumana, a été arrêté et mis en garde en vue en vertu de la loi sur la cybercriminalité également. Il a été relaxé deux jours plus tard sur décision d’un juge.

De telles arrestations, poursuites et détentions arbitraires de journalistes pour leurs commentaires en ligne constituent une violation de la législation nigérienne sur la liberté de la presse.

“L’arrestation et le maintien en détention de Samira Sabou pour avoir soulevé des questions d’intérêt public auront des répercussions négatives et intimidantes sur tous les journalistes qui enquêtent sur la corruption et la redevabilité. Il est temps que le gouvernement et les tribunaux cessent de criminaliser l’expression et la censure de la presse et les opinions divergentes“, a ajouté Fatou Jagne Senghore.

“La pandémie de Coronavirus nous a montré une fois de plus que nous avons besoin de médias forts et indépendants pour informer et assurer la transparence, l’engagement des citoyens et la redevabilité”.

Violation volontaire du régime légal de la presse

“L’ordonnance portant de régime de presse au Niger de 2010 interdit explicitement de détenir des journalistes pour avoir fait leur travail. A contrario, la loi sur la cybercriminalité criminalise la diffamation et d’autres délits en ligne, en violation des normes internationales sur la liberté d’expression“, a déploré Fatou Jagne Senghore.

Les dispositions répressives de la loi sur la cybercriminalité ne devraient pas s’appliquer aux journalistes. Le régime de la presse au Niger régit le travail de tous les journalistes et s’applique à tout moyen de communication utilisé par eux pour transmettre des informations dans l’exercice de leurs devoirs d’informer. La loi sur la presse ne prévoit que des amendes pour sanctionner la diffamation d’un journaliste, qu’elle soit en ligne ou hors-ligne. Le Niger doit immédiatement modifier la loi sur la cybercriminalité afin de la conformer au régime de presse et à ses obligations internationales en matière de droits humains.

En tant que premier chef d’État à signer la Déclaration de la « Montagne de la Table » en 2011, qui appelle expressément à l’abolition des lois pénales sur la diffamation et les insultes et replace la liberté de la presse au premier plan des débats en Afrique, le Président Mamadou Issoufou a explicitement témoigné de son soutien à la liberté de la presse.

Le Président doit donner suite à l’engagement qu’il a pris en signant la Déclaration de la Montagne de la Table et doit veiller à ce que Samira Sabou soit libérer sans condition avec abandon des charges contre elle. Enfin, le Président doit donner des directives aux fonctionnaires et institutions publics pour qu’ils se gardent de porter plainte pour diffamation“, a déclaré Fatou Jagne Senghore.

Les obligations internationales du Niger

Le Niger, en inculpant Samira Sabou d’une infraction pénale et en la détenant pendant plus d’un mois, bafoue sa propre législation sur la presse, qui exclut toute mesure privative de liberté pour diffamation, ainsi que ses obligations internationales et les décisions des tribunaux régionaux.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (NU) indique clairement que la diffamation ne devrait pas être passible d’une peine d’emprisonnement. Le Rapporteur Spécial (RS) des NU sur la Liberté d’Opinion et d’Expression a établi dans son rapport en 1999, que “les sanctions pour diffamation ne devraient pas être trop sévères pour ne pas avoir un effet dissuasif sur la liberté d’opinion et d’expression et le droit de rechercher, de recueillir et de diffuser des informations ; que le recours à des sanctions pénales, en particulier l’emprisonnement, ne devrait jamais être envisagé”. Le RS a ensuite appelé les Etats à abroger toutes les lois pénales sur la diffamation et à les remplacer par des lois de droit commun.

Dans un communiqué publié conjointement en décembre 2002, les trois RS sur la liberté d’expression des NU, de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et de l’Organisation des États Américains (OEA) ont appelé les États à mettre un terme à la criminalisation de la diffamation  déclarant qu’elle “ne constitue pas une restriction justifiable de la liberté d’expression et que toutes les lois pénales sur la diffamation devraient être abrogées et remplacées, si nécessaire, par une législation de droit commun idoine”.

En 2016, lors de son dernier passage devant le Conseil des droits de l’homme, pour l’Examen périodique universel, le Niger a accepté les recommandations visant à garantir la liberté d’expression et de réunion en ligne et hors ligne, à empêcher la détention des journalistes et à garantir la protection des défenseurs des droits de l’homme sur la protection de la liberté d’expression.

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour de Justice de la CEDEAO condamnent sans équivoque le recours à des peines privatives de liberté contre les journalistes pour diffamation.

Dégradation de l’espace civique en raison de la pandémie de coronavirus et dans le contexte de la prochaine élection présidentielle

On observe une tendance croissante à restreindre la liberté de la presse et l’espace civique au Niger sous la législature en cours. A titre d’exemple, au cours des deux dernières années, le gouvernement a interdit une vingtaine de manifestations, dont certaines ont été dispersées avec force. Le refus d’une autorisation ne rend pas une manifestation illégale et ne peut, en soi, justifier la répression comme mentionné dans les principes de la Commission africaine sur la liberté d’association et de réunion.

Depuis la mise en place de l’état d’urgence sanitaire en Mars 2020, cette situation est devenue plus notable. Depuis lors, les arrestations des journalistes et d’activistes pour des publications sur les médias sociaux ont augmenté sur fond de la loi sur la cybercriminalité. En Mai, Amnesty International a rapporté qu’au moins dix personnes avaient été arrêtées sur une période de deux mois pour avoir critiqué les autorités et que des accusations avaient été fabriquées de toutes pièces contre certaines d’entre elles. En raison des restrictions imposées pour répondre à la pandémie de Coronavirus, certains n’ont pas eu accès à leurs familles et à leurs avocats pendant des jours.

Des sources locales ont ajouté que sept étudiants comptaient  parmi les personnes arrêtées lors de cette manifestation non autorisée du 15 Mars 2020.

Dans ce contexte alarmant de restriction de l’espace civique, le Niger a adopté en mai 2020 une nouvelle loi autorisant l’interception de certaines communications privées émises par voie électronique.

ARTICLE 19 demande avec insistance aux autorités nigériennes d’abroger ou amender les dispositions controversées de ces lois et de les mettre en conformité avec leurs obligations internationales en matière des droits humains pour protéger la liberté d’expression et la liberté de la presse dans le pays.

Pour plus d’informations, veuillez contacter :

Eliane NYOBE, Assistante des Programmes Senior, ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest à E :  eliane@article.19.org; T : +221 33 869 03 22

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